Le Rocher de l’Impératrice

© Cyril FRÉSILLON / CEPAM / CNRS Photothèque

Un petit camp de chasseurs de 14 000 ans dominant l’estuaire de l’Elorn : l’abri-sous-roche du Rocher de l’Impératrice à Plougastel-Daoulas (Finistère).

Sur la commune de Plougastel-Daoulas, dominant l’actuel estuaire de l’Elorn, l’abri sous roche du Rocher de l’Impératrice, découvert par Michel Le Goffic dans les années 1980, fait l’objet d’une fouille chaque été depuis 2013. Cette opération, dirigée par le préhistorien Nicolas Naudinot, enseignant-chercheur à l’Université Nice Sophia-Antipolis/CNRS CEPAM, et soutenue par la DRAC/SRA Bretagne, le Conseil départemental du Finistère et la commune de Plougastel-Daoulas, constitue aujourd’hui un gisement clef pour la compréhension d’une période méconnue de la Préhistoire européenne.

Ce petit campement de chasseur-collecteurs a été occupé à plusieurs reprises il y a environ 14 000 ans. Attribué grâce à l’analyse des outils en pierre et de leurs déchets de fabrication à l’Azilien ancien, ce site illustre un moment de transition entre deux grandes cultures du Paléolithique supérieur : le Magdalénien et l’Azilien. Il permet d’enquêter sur la nature et les rythmes des changements techniques au cours de la Préhistoire, mais aussi des transformations symboliques grâce à de nombreux éléments de plaquettes de schiste gravées ; les plus anciennes traces d’art en Bretagne.

Un environnement bien différent

Le site est actuellement situé dans un petit bois dominant la rade de Brest. La situation était bien différente durant l’Azilien ancien… Tout d’abord, ce secteur n’était pas bordé par la mer à cette époque : la rade de Brest comme l’archipel de Molène sont durant l’Azilien éloignés de la côte. L’océan est en effet plus bas d’une centaine de mètres. L’actuelle rade de Brest était un vaste espace parcouru par de nombreux fleuves littoraux. La végétation était également très différente de celle que l’on peut observer aujourd’hui dans le secteur : pas de bois ! Les arbres sont encore très rares durant cette période qui, bien que marquée par un net réchauffement climatique, succède directement au dernier maximum glaciaire. Il faut ainsi imaginer la rade de Brest comme un vaste environnement steppique parsemé de buissons de genévriers et de rares pins et bouleaux. Quant à la faune, la nature très acide du sol dans le Massif Armoricain n’a pas permis la conservation des ossements sur le site. Toutefois, si l’on se réfère aux régions voisines, mais aussi aux animaux représentés sur les plaquettes gravées retrouvées sur le site, elle est notamment constituée de chevaux, d’aurochs et de cerfs.

Que sont venus faire ces groupes au Rocher de l’Impératrice durant l’Azilien ancien ?

Grâce à l’analyse des objets archéologiques et leur répartition sur le site, il est d’ores et déjà possible, même si la fouille se poursuit, de commencer à proposer des hypothèses sur le statut de cette occupation azilienne. Cet abri a ainsi été occupé à plusieurs reprises par des groupes des chasseur-collecteurs. Ces occupations ont à chaque fois été très courtes (quelques jours) et n’ont impliqué qu’un petit nombre de personnes. Les préhistoriques sont arrivés sur le site avec une grande partie de leurs outils déjà fabriqués. Les activités réalisées lors de ces occupations sont très clairement orientées vers la fabrication/entretien des armes et la découpe bouchère. L’hypothèse d’un petit camp de chasse est ainsi privilégiée. Hypothèse d’ailleurs appuyée par la position privilégiée du site avec une vue dominante sur le vaste espace aujourd’hui submergé par la rade de Brest.

Des comportements techniques déjà ancrés dans l’Azilien mais encore empreints d’idées magdaléniennes

Le sol très acide du Massif Armoricain interdit, hormis dans certains contextes littoraux spécifiques, la conservation des éléments organiques dont l’os. L’enquête menée au Rocher de l’Impératrice se base donc uniquement sur l’étude des objets en pierre (et les charbons de bois) : outils, déchets issus de la production de ces outils, éléments gravés. Il est évident que les occupations aziliennes ont abouti à l’accumulation de nombreux déchets osseux, mais ces éléments ont malheureusement disparu. L’outillage et l’armement lithique s’avèrent particulièrement intéressants afin d’enquêter sur la nature et les rythmes des transformations techno-économiques qui marquent cette période charnière entre Magdalénien et Azilien. La production est ainsi soignée et présente des caractéristiques clairement héritées du Magdalénien (recherche de lames régulières, mise en place de méthodes soignées, sélectivité des matériaux, importance des burins dans l’outillage), mais témoigne toutefois d’un cheminement déjà largement engagé dans l’Azilien (systématisation de l’usage de la pierre tendre comme percuteur, disparition des lamelles armant les sagaies en os et, en corollaire, développement d’un armement exclusivement constitué de pointes axiales).

Des plaquettes de schistes gravées témoignant d’une claire perduration de comportements symboliques magdaléniens

Les sites de l’Azilien ancien sont donc rares en France. La plupart des données disponibles sur ces sites ne permettent de plus pas d’étendre l’enquête au-delà de la sphère technique. A cette industrie lithique très informative s’ajoute un important corpus d’art mobilier sur plaquette de schiste qui permet de développer une réflexion plus générale sur la transition entre le Magdalénien et l’Azilien. Ces fragments, dont certains présentant des traces de colorants noirs identifiés comme du charbon, constituent les plus anciennes traces d’expression graphique en Bretagne, mais aussi le plus grand corpus attribuable à l’Azilien ancien en France. Si la plupart de ces pièces sont fragmentaires et ne mesure que quelques centimètres, les éléments les plus complets, ainsi que d’importants efforts de raccords des fragments ont montré que les registres représentés étaient essentiellement figuratifs : chevaux et aurochs. Une de ces plaquettes présente une tête d’aurochs sur chacune de ses faces dont l’une entourée de traits larges et profonds concentriques qui semblent rayonner et font de cette représentation une expression unique pour le Paléolithique supérieur. De manière générale, les registres stylistiques présents sur ces plaquettes, par leurs thématiques et leurs codes formels, sont résolument dans la lignée de l’iconographie de la fin du Magdalénien (représentations très détaillés, proportions respectées etc.). Ces résultats suggèrent en outre une claire arythmie entre changements techniques et artistiques (outillage en pierre marquant déjà l’Azilien et représentations graphiques encore très ancrées dans le Magdalénien), rappelant, s’il était nécessaire, que les cultures préhistoriques ne constituent pas des packages mais sont bien constituées de différentes sphères techniques, symboliques ou sociologiques, se transformant à des rythmes parfois variés.

Un patrimoine en danger

Le site du Rocher de l’Impératrice s’inscrit donc d’ores et déjà comme un jalon incontournable pour la compréhension des sociétés tardiglaciaires d’Europe nord-occidentale. Notamment grâce à la diversité des témoignages qu’il fournit, ce site permet de développer des réflexions globales sur la nature et le rythme des transformations qui touchent les sociétés paléolithiques durant cette période encore mal connue. Ce site a cependant subi des attaques répétées de pilleurs et autres ennemis de notre patrimoine. Chaque coup de piochon, pièce volée, grattage sur le site, ruine un travail de terrain long et méticuleux. Si les objets sont importants pour comprendre le passé, leur position sur le site, leur contexte, l’est encore plus… Afin de protéger le site, en parallèle d’une surveillance des autorités, le SRA Bretagne et le Conseil départemental du Finistère ont financé une clôture (qui sera démontée une fois la fouille terminée). La meilleure des protections reste toutefois la connaissance du site, du travail des archéologues, mais aussi la vigilance de chacun.

Localisation :
550 route du Roc'her de l'Impératrice 29470 Plougastel-Daoulas

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